JOURNAL LE NORD, cahier de la semaine

Par Ève Ménard

Il y a quelques jours, le programme TAPAJ – acronyme pour « travail alternatif payé à la journée » – a été lancé dans la région de Saint-Jérôme. Son objectif ? Favoriser la réinsertion socioprofessionnelle, différemment.

Ce programme d’origine québécoise existe depuis plusieurs années déjà. Il a été créé en 2000 par Spectre de Rue, un organisme situé à Montréal. Il s’agit toutefois de sa première implantation dans les Laurentides, sous l’initiative de CAP Emploi.

Récemment, des tapajeurs ont nettoyé le terrain de l’Écocentre de Saint-Jérôme.

Être aidé dans la dignité

 Le programme TAPAJ permet à des personnes en situation de vulnérabilité ou d’insertion socioprofessionnelle d’œuvrer sur de courts plateaux de travail, où ils sont rémunérés le jour même. Il n’y a pas d’engagement à long terme ni d’horaire défini à l’avance : ces petits travaux n’engagent les participants qu’une journée à la fois. Chaque semaine, les tapajeurs communiquent donc, s’ils le souhaitent, avec Catherine Chapdelaine, coordonnatrice du TAPAJ à Saint-Jérôme. Celle-ci leur propose alors les plateaux de travail disponibles. « L’idée est de prendre la personne où elle est aujourd’hui et de lui offrir un job, aujourd’hui », souligne Mme Chapdelaine.

Généralement, les tâches requises sont manuelles et ne requièrent pas de qualification ou d’expérience particulière. Le premier plateau de travail a eu lieu au début du mois de juin au Phénix Gourmand, où on cuisine des plats abordables pour des personnes dans le besoin. Là-bas, la tâche des tapajeurs consistait notamment à séparer les portions et à placer la nourriture dans des contenants. Des tapajeurs ont aussi nettoyé le terrain de l’Écocentre de Saint-Jérôme et vidé les casiers au Cégep de Saint-Jérôme. « Les gens se sentent vraiment utiles et ça brise l’isolement. Ils peuvent être aidés et aider, mais dans la dignité », précise la coordonnatrice.

Supprimer les obstacles

Pour le moment, CAP Emploi travaille par référencement pour recruter les tapajeurs. « On veut s’assurer que ce soient les personnes qui en ont le plus besoin qui en profitent », mentionne Catherine Chapdelaine. Les organisateurs communautaires, les organismes ou le système de santé leur réfèrent donc des individus. Leur réalité varie beaucoup. Il peut s’agir d’une personne en situation d’itinérance, d’une autre qui sort d’une thérapie de désintoxication ou encore d’une personne qui vit énormément d’anxiété.

Une fois l’individu référé, Mme Chapdelaine le convie à une petite rencontre pour lui expliquer le fonctionnement. « Ça dure environ 30 minutes et ça commence par : « Ceci n’est pas une entrevue » », indique-t-elle. En effet, l’idée derrière ce programme est d’enlever la majorité des obstacles que ces personnes peuvent vivre à travers l’obtention d’un emploi. Au terme du plateau de travail, d’une durée de trois heures, les tapajeurs reçoivent 45 $ en argent comptant. Avec cette méthode de paiement, on supprime un autre obstacle : parfois, les participants n’ont pas de compte de banque, souligne la coordonnatrice.

« Les gens à qui s’adresse le programme, ils sont souvent en transition, ou en recherche de logement. Ils sont parfois en attente de passer en cour et en attente d’une place en thérapie de désintoxication. Ce n’est pas nécessairement un bon moment pour chercher un emploi, car les choses bougent rapidement. Mais à un ou deux jours d’avis, c’est possible. C’est aussi un obstacle qu’on enlève : il n’y a pas d’engagement à long terme », complète Catherine Chapdelaine.

Renverser la logique

Le programme TAPAJ permet d’offrir un succès rapide à des gens plus vulnérables. « Pour certaines personnes, le chemin vers une amélioration suffisante de leur situation, ça semble tellement long que ça peut devenir décourageant », affirme Mme Chapdelaine. Alors pourquoi ne pas « virer les choses » à l’envers ? « On t’offre tout de suite un emploi et ça vient répondre à un besoin immédiat. Puis, ça peut devenir un levier de mise en action », explique la coordonnatrice.

Le plateau de travail peut s’avérer un premier pas vers la réinsertion sociale et professionnelle, espère Catherine Chapdelaine. Entre les plateaux, les services de CAP Emploi demeurent d’ailleurs disponibles. L’organisme peut aussi référer les tapajeurs, s’ils le souhaitent, vers d’autres organisations.

Les entreprises y gagnent aussi

TAPAJ répond et s’adapte également aux besoins des entreprises. Pour celles-ci, ce service permet d’accomplir des travaux périodiques, sans devoir mobiliser ses employés à l’interne. Avec la pénurie de main-d’œuvre, des employés se retrouvent à remplir des tâches qu’ils ne feraient pas autrement, ce qui peut jouer sur leur niveau de satisfaction, remarque la coordonnatrice.

Avec TAPAJ, ces « fameuses toutes autres tâches connexes » peuvent être données à d’autres personnes. Ça comporte plusieurs avantages. « Pour les employés, ils peuvent être plus satisfaits et faire les tâches qu’ils aiment vraiment. Aussi, comme employé, tu sens que tu fais partie d’une entreprise qui aident les gens. Le sentiment d’appartenance devient plus grand », souligne Catherine Chapdelaine.

 

L’historique du programme TAPAJ

En 2000, TAPAJ est devenu le premier programme de pré-employabilité destiné à des personnes marginalisées. Tout a commencé en 1999, par une étude réalisée à Montréal auprès de jeunes pratiquant le squeegeeing. Cette pratique consiste à nettoyer des parebrises aux feux de circulation, dans l’espoir de récolter un peu d’argent. Les recommandations de l’étude, à l’époque, évoquent la nécessité de créer des alternatives à la judiciarisation de ces jeunes qui pratiquent des métiers de rue considérés comme illégaux. De là naît l’idée du TAPAJ : pourquoi ne pas offrir à ces jeunes la possibilité de travailler quelques heures par jour, sans engagement à long terme, le tout dans un environnement légal et sécuritaire ?

À la base, TAPAJ est donc un programme qui vise non seulement la réinsertion sociale, mais également la réduction des méfaits. On souhaite offrir une alternative aux métiers de la rue, qui peuvent inclure le squeegeeing, le travail du sexe, la vente de stupéfiants, la mendicité, etc. Aujourd’hui, cette idée a pris de l’expansion, non seulement au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde. TAPAJ s’est notamment implanté et développé en France dès 2013. Aujourd’hui, TAPAJ France compte sur 145 partenaires qui proposent des plateaux de travail.

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